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"En Suisse, on s’occupe mieux des prisonniers que des victimes"

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Julie de Tribolet
Même si Henriette Mischler a fait le deuil et s’est efforcée d’aller de l’avant, elle pense tous les jours à sa fi lle Nathalie, tuée par son ex-mari il y a neuf ans.
Société

Alors que le meurtrier de sa fille s’apprête à retrouver la liberté et exerce au CHUV comme médecin visiteur, Henriette Mischler prend la parole pour la première fois. Elle raconte les mois de survie après le drame et dénonce le sort des victimes laissées pour compte.

Une grande colère et une profonde tristesse. Assise à la table de son vaste salon-salle à manger, dans sa maison de Fenin, joli village du canton de Neuchâtel, Henriette Mischler raconte les sentiments qui l’habitent depuis des années. Depuis ce funeste 6 janvier 2008, date à laquelle sa vie «s’est arrêtée un instant pour connaître, par la suite, l’horreur et le désespoir».
Si Henriette Mischler souhaite témoigner pour la première fois, neuf ans après le meurtre de sa fille Nathalie, c’est pour raconter le long chemin parcouru et dénoncer les difficultés et les complications auxquelles sont confrontées les victimes. «Le deuil, c’est une chose mais, le pire, c’est le jugement de l’assassin et les manquements de la LAVI (ndlr: loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions). Etre enfoncé quand vous survivez et être confronté à des gens qui devraient vous aider et ne vous aident pas, c’est dur.»
Quatre vies anéanties
Il est 20 h 48 ce dimanche de janvier 2008 lorsque le téléphone sonne. La voisine de sa fille Nathalie, alors âgée de 39 ans, lui demande de venir immédiatement à La Chaux-de-Fonds. Elle lui passe encore l’aînée de ses petites-filles. Agée de 9 ans, l’enfant crie dans le combiné: «Papa a tiré sur maman!» «Tout a été anéanti, arrêté d’un coup de pistolet», écrit Henriette Mischler dans le journal qu’elle a tenu durant six ans après l’assassinat de sa fille. Dormant dans leur chambre, les fillettes en sortiront l’une en entendant les cris de sa maman et l’autre après avoir été réveillée par un coup de feu. Toutes deux verront leur mère abattue d’une balle de pistolet militaire, couchée sur le tapis du salon, du sang sortant de son cou. Le couple était divorcé et Nathalie avait invité son ex-mari, Marcel Nicolet, un gastroentérologue de 52 ans souffrant de problèmes de boulimie, à partager le repas du soir, alors qu’il était venu lui ramener les deux fillettes à l’issue de son week-end avec elles.
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Au lendemain du dimanche 6 janvier 2008, la tragédie fait la une de la presse romande.

Leur grand-maman, une septuagénaire au caractère bien trempé, n’est pas le genre de femme à s’épancher et à faire dans le sentimentalisme. Sobre, elle commente: «Même si on fait le deuil et que l’on va de l’avant, les événements du 6 janvier remontent parfois et on les revit, comme si c’était hier. La douleur ne part pas.» A la lecture de son journal, on mesure aujourd’hui le chemin parcouru et les souffrances endurées. Elle y décrit ces premiers jours passés à rendre visite à Nathalie, à la morgue, avec ses petites-filles pour lui dire combien elles l’aimaient et combien elle leur manquait. «Parfois, nous lui lisions des cartes et des lettres reçues, ces messages pleins de marques d’estime pour elle et pleins de mots de consolation pour nous. Les filles savaient que c’était fini, que leur mère ne reviendrait plus, pas plus que leur père. Il a fallu s’en accommoder. J’avais moi-même une relation magnifique avec ma fille.»
Survivre au pire
Elle raconte ces premières semaines à essayer de survivre tout en prenant soin de deux fillettes privées de leur maman adorée et ces nuits passées à entendre deux enfants de 7 et 10 ans hurler, pleurer dans leur sommeil et appeler «Maman». Elle évoque également les premiers mois passés à trouver un semblant d’équilibre grâce, notamment, aux séances avec une psychologue – dont moins d’une dizaine payées par la LAVI –, à des massages et à de la réflexologie. Elle qui travaille alors à plein temps dans une compagnie d’assurances – le même employeur que celui de sa fille – réduit son horaire de travail à 80% pour pouvoir mieux s’occuper des deux fillettes, avant de prendre une retraite anticipée. C’est d’ailleurs son employeur qui lui accordera un prêt, sans intérêts, pour faire face aux premières factures, car le père ne paie pas les pensions qu’il doit ou alors irrégulièrement.
Victimes délaissées
Dans ce journal d’une cinquantaine de pages, on découvre tout un pan de la réalité des victimes après le drame. La grande tache de sang, celle de son propre enfant qui marque le sol du salon et qu’elle découvre lorsqu’elle doit vider l’appartement de sa fille. Le quotidien à organiser pour deux fillettes. La vie qui doit reprendre son cours malgré l’horreur de la situation et le manque, insupportable, de l’être aimé, mais également le long combat administratif que doivent mener beaucoup de victimes, comme le confirme Carlo Häfeli, avocat et président de Weisser Ring. Cette association, dont le siège suisse est à Zurich, s’occupe d’aider les victimes d’infractions, spécialement dans leurs rapports avec les autorités, des contacts qui ne se passent pas toujours bien, notamment à cause du manque de formation de certains fonctionnaires. «Beaucoup de victimes doivent faire face à une avalanche de formulaires compliqués à remplir. Elles doivent également attendre deux à trois ans avant de recevoir l’argent auquel elles ont droit. En dix ans, je n’ai connu que trois cas de personnes qui ont été aidées financièrement avant la procédure pénale. Du point de vue politique, les victimes ne sont pas très intéressantes; elles n’ont pas de lobby.»
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Henriette Mischler aime porter la veste de sa fille. Elle se ressource souvent dans la nature en compagnie du chien de la famille, Atos. Roxy, le chat, qui a été adopté plus tard, les suit régulièrement. Photo: Julie de Tribolet

L’homme de loi zurichois dénonce également le fait que tout est organisé pour le criminel, de son assistance juridique à sa resocialisation en passant par l’assistant social, le médecin et le psychologue alors que les victimes, elles, doivent prendre les choses en main. «Quelles sommes la société dépense-t-elle pour les criminels et quelles sommes pour les victimes? Personne ne peut donner de chiffres.»
Profond sentiment d’injustice
Henriette Mischler parle du sentiment d’injustice qui l’habite. «Contrairement aux prisonniers qui ont droit à des ateliers d’écriture, de peinture ou de théâtre, il n’existe aucune structure ou organisation qui offre de telles activités aux victimes. On n’a reçu aucune proposition. On se sent délaissés et démunis, laissés à notre sort.» Et que dire des études à distance qu’a pu faire l’ex-mari de sa fille, qui a obtenu un bachelor en sciences économiques, de même qu’une licence en mathématiques, des études payées pour moitié par le service pénitentiaire? «L’Etat sera-t-il d’accord de financer la moitié des études de mes petites-filles?»
La Neuchâteloise énumère les dysfonctionnements qu’elle a observés et contre lesquels elle a lutté à la suite de la nomination d’un curateur pour administrer les comptes de ses petites-filles, âgées actuellement de 16 et 19 ans. «Cela a coûté 50 000 francs en tout, 50 000 francs pour faire en partie de la «gogne», du travail mal fait, comme on dit chez nous.» C’est une grand-maman en colère, qui a suivi le «dossier», qui parle. Elle regrette le manque de communication et de collaboration entre tous les intervenants, dont la partie adverse qui n’a pas cessé de tirer la couverture à elle. «L’avocat du meurtrier de ma fille a pu vendre le cabinet médical en catimini sans devoir nous rendre de comptes.»
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C’est Nathalie qui avait ramené ce petit tableau à sa maman d’un voyage d’études en France. Elle avait alors 17 ans. Ce cadeau avait beaucoup touché Henriette Mischler, qui l’a toujours gardé précieusement. Photo: Julie de Tribolet

Mais ce qui reste en travers de la gorge d’Henriette Mischler, c’est surtout la facture reçue voici quelques mois, soit celle de l’enterrement de sa fille – 20 000 francs – que la LAVI du canton de Neuchâtel refuse de prendre en charge. «Mes petites-filles, à qui leur père a cédé, en 2015, pour solde de tout compte, une vieille maison locative à La Chaux-de-Fonds, dont les trois loyers servent à payer les pensions alimentaires qu’il leur doit, sont considérées comme trop «riches».» La LAVI aurait dû réclamer cette somme au meurtrier, mais elle ne l’a pas fait. «Et maintenant, elle se retourne contre mes petites-filles. C’est scandaleux et injuste. Cette affaire était exceptionnelle et demandait des mesures exceptionnelles. Ce qui n’a pas été le cas. Les autorités et les services administratifs n’ont pas été à la hauteur.»
Le curateur, Werner Gautschi, avocat et notaire à La Chaux-de-Fonds, partage l’indignation d’Henriette Mischler concernant la facture de l’enterrement. «Nous avons affaire à des «peignettes» (ndlr: radins), des juristes sans cœur qui essaient de faire rentrer tout l’argent qu’ils peuvent dans les caisses de l’Etat. C’est répugnant.» Son regard sur la LAVI? «La loi sur l’aide aux victimes d’infractions est une loi fédérale mise en œuvre et appliquée par les cantons. Et le canton de Neuchâtel, problèmes budgétaires obligent, brille par sa parcimonie dans son application. Le problème, c’est que si les victimes n’appartiennent pas à une catégorie sociale précaire, qui vit avec le minimum vital, elles ne sont pas aidées financièrement. Les filles Nicolet sont des victimes. La société aurait dû mettre à leur disposition des moyens pour encaisser le coup, s’adapter, digérer ce qui leur est arrivé et se reconstruire. Et elle ne l’a pas fait. On est dans une situation choquante au niveau de la LAVI. On leur a dit: «Vous disposez de moyens suffisants pour vous débrouiller seules.»
 
Texte: Sabine Pirolt

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