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Nuria Lang, une super nanny qui en a vu de toutes les couleurs

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Julie de Tribolet
"Nous sommes des généralistes, à la fois psychologues, sociologues, ethnologues...", confie Nuria Lang, éducatrice sociale.
Témoignage

Nuria Lang est éducatrice sociale. Depuis treize ans, elle intervient au sein de familles rencontrant des difficultés éducatives. Des enfants rois, elle en a rencontré des centaines.

Nuria Lang travaille à l’AEMO (action éducative en milieu ouvert) du canton de Neuchâtel depuis bientôt treize ans. Elle est responsable d’une équipe de onze personnes intervenant sur tout le littoral neuchâtelois, le Val-de-Ruz et le Val-de-Travers.
Comment définiriez-vous votre travail?
J’interviens auprès des familles qui rencontrent des difficultés éducatives, familiales, relationnelles ou de comportements afin de leur permettre de retrouver des conditions de vie suffisamment bonnes pour favoriser le développement et la stimulation de leurs enfants. Car nous sommes convaincus que le lieu le plus propice au bon développement d’un enfant est sa famille. Il reste que, parfois, le placement en institution est la meilleure réponse pour garantir la protection d’un enfant.
Vous rappelez-vous la première fois où vous êtes intervenue dans une famille?
C’était une famille qui avait été signalée au juge par l’école où la fille s’était plainte de mauvais traitements. Dans un premier temps, il a fallu construire une alliance éducative afin de clarifier le fait que je n’étais pas là pour les juger mais pour les aider à retrouver un fonctionnement acceptable pour tous. Car, si les parents reconnaissaient avoir été débordés par moments face aux comportements de leur fille, ils ne pouvaient accepter d’être considérés comme maltraitants.
Qu’est-ce qui motive vos interventions?
A Neuchâtel, contrairement à ce qui se passe par exemple sur Vaud ou à Genève, où il faut passer par un service de protection de la jeunesse, tout le monde peut prendre librement contact avec nos services. Les familles s’adressent donc directement à nous, même si elles agissent parfois sur recommandation ou injonction d’une institution scolaire ou du service de protection de l’enfant. Mais il n’y a jamais de contraintes administratives ou judiciaires.
Comment se passent les premiers contacts avec la famille?
Après contact téléphonique, le premier entretien a toujours lieu dans nos bureaux. Chacun se présente et nous essayons de mettre des mots, ensemble, sur les raisons qui les ont amenés à nous contacter et voyons comment nous pourrions travailler ensemble. A la suite de ce premier entretien, les familles ont quelques jours pour décider si elles veulent s’engager avec nous. Mais l’accompagnement dure au maximum dix-huit mois à raison d’une visite d’environ une heure et demie chaque semaine.
Comment se passent ces visites?
C’est là que l’aventure commence… Car c’est la famille qui décide où et comment on se rencontre. Elle ne nous montre du foyer familial que ce qu’elle veut et on doit s’adapter et trouver un juste équilibre: devenir proche tout en gardant une distance. Mais c’est un poste privilégié pour observer les interactions familiales dans leur milieu naturel. On démarre en général dans un salon où l’on a soigneusement fait le ménage avant notre arrivée…
Mais vous observez quoi?
On n’entrera jamais dans une pièce si on n’y a pas été invité et on ne va pas se mettre à fouiller dans les placards… Par contre, on accueille ce qui nous est dit, on essaie de comprendre comment la famille s’organise dans ce lieu. Contrairement à ce qui se passe dans le cabinet d’un psy où on ne fait que parler, on est dans le concret. Si les parents sont exaspérés parce que leur enfant ne range pas sa chambre, on peut aller dans ladite chambre avec le jeune et ses parents et interroger le cadre du conflit. Cela permet d’approcher de manière très précise les fonctionnements. Parfois, on fait appel à des jeux.
Des jeux?
Oui. Vous serez peut-être étonné d’apprendre que l’Uno se révèle un excellent outil pour mettre en lumière les fonctionnements à l’intérieur d’une famille. Car les règles de ce jeu de cartes sont suffisamment floues pour que chacun croie détenir la bonne et les dix ou vingt minutes que la famille passe à se mettre d’accord sont riches d’enseignement sur les caractères en présence, les interactions, les rôles et la place de chacun dans la galaxie familiale… Nous veillons également à leur permettre de vivre des moments positifs ensemble et de ne pas rester uniquement centrés sur ce qui ne va pas. Nous sommes des généralistes, à la fois psychologues, sociologues, ethnologues… Plus notre boîte à outils est fournie, mieux on s’adapte aux besoins des familles.
Et si les parents sont d’accord pour collaborer et pas l’enfant?
Ça arrive, mais l’enfant étant mineur, ce sont les parents qui décident. Et l’on peut très bien centrer notre action sur les parents et aboutir à des améliorations dans la situation de l’enfant. Lorsque les parents sont très démunis, c’est d’ailleurs souvent préférable d’engager un travail séparé avec eux, ne serait-ce que pour qu’ils y voient un peu plus clair dans la situation qu’ils sont en train de vivre, qu’ils trouvent d’autres repères et reprennent confiance. Il arrive également que le jeune demande à vous parler seul à seul et qu’il soit le moteur du changement familial.
Que pensez-vous des «super nannies» de la télé? Elles vous ressemblent?
J’aimerais bien que ça se passe dans la réalité comme à la télévision, où les problèmes familiaux disparaissent comme par miracle. Plutôt que de donner des conseils formulés comme une recette de cuisine, nous collaborons avec les familles pour trouver des réponses à leurs difficultés. Ce sont les familles qui ont les clés. On les aide simplement à les retrouver. D’un autre côté, le mérite de ce genre d’émission de téléréalité est d’avoir normalisé le fait que les familles pouvaient rencontrer des difficultés importantes et qu’il n’y avait pas de honte à demander de l’aide. Un tabou a sauté et peut-être que ça encourage les gens à contacter des services comme le nôtre.
Un exemple?
Je me souviens d’une famille avec un jeune adolescent brillant scolairement mais très oppositionnel à la maison. Impossible de lui faire ranger sa chambre. Il m’a fallu du temps pour lui faire avouer que s’il ne rangeait pas sa chambre, c’était parce qu’il avait peur qu’en le faisant, ses parents lui demandent de ranger toute la maison… Confronté à des parents perfectionnistes et 
exigeants qui lui demandaient toujours plus à l’école, il craignait de se retrouver dans la même situation à la maison.
Combien de familles vues par l’un de vos éducateurs en l’espace d’une année?
Un intervenant à 100% accompagne une quinzaine de familles, qu’il rencontre une fois par semaine. Pour notre antenne, sur une année, nous rencontrons environ 250 familles, 370 sur l’ensemble du canton de Neuchâtel.
Existe-t-il un profil type de ces «familles à problèmes»?
Non. Nous rencontrons des familles de tous horizons et de tous niveaux socioéconomiques. Une famille bien «équipée» matériellement, intellectuellement et affectivement peut très bien avoir des difficultés. Par exemple lorsqu’elle découvre l’adolescence avec un premier enfant. C’est le type d’événement qui peut remettre en question tout un équilibre familial. La précarité, les divorces conflictuels, le chômage, le déracinement culturel et toutes les autres situations qui peuvent aboutir à un isolement social sont également des facteurs de vulnérabilité.
Vous arrive-t-il d’échouer dans vos démarches?
C’est assez rare, mais il peut arriver que la mayonnaise ne prenne pas. Soit parce que la famille n’est pas prête, soit parce qu’il y a un problème de compatibilité entre la famille et l’intervenant, ou encore parce que la situation n’est pas mûre. Parfois, il faut se résoudre à un placement, une solution chère et douloureuse, mais la moins mauvaise chose à faire en l’état. A certains couples fragiles psychologiquement, on est parfois obligé d’expliquer que s’ils peuvent être de bons parents à temps partiel, ils ne peuvent pas s’occuper de leurs enfants en permanence. On a le droit d’être parent même si c’est seulement par moments.
Et si, lors de votre séjour dans la famille, vous découvrez des abus graves?
On rencontre beaucoup plus de parents démunis que de parents abusifs. Mais si des abus graves, maltraitance massive ou abus sexuels par exemple, sont révélés, on ne va pas jouer au pompier. Le principe de confidentialité n’a plus cours et nous devons partager l’information avec l’Office de protection de l’enfant.
 
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