
Mannequin et actrice, muse des sixties, elle a perdu à Genève l’un des trois enfants qu’elle a eus avec Keith Richards. Témoignage et retour sur une existence sulfureuse.
«Anita, putain de garce sexy. Une des plus belles femmes au monde.» Ainsi parlait Keith Richards dans son autobiographie, le best-seller mondial Life, au sujet d’Anita Pallenberg. Actrice, mannequin et styliste, elle vient de disparaître à 73 ans. Le guitariste à la bague tête de mort admirait cette muse des sixties et finit par l’aimer. Mais il n’osa s’en approcher que pour la soustraire aux coups de Brian Jones: le fondateur des Rolling Stones était un amant violent.
Dans le groupe, il y eut un avant et un après Pallenberg. Elle fut surnommée le sixième Stones. Elle a été la mère de Marlon, Angela et Tara, trois des enfants de Keith Richards. Le dernier, né à Genève, est décédé alors qu’il avait 10 semaines. C’est le chapitre le plus noir et le plus triste de l’existence du rocker. Au moment du drame, il était absent dans tous les sens du terme. Parti en tournée, héroïnomane, loin des siens, il apprit la nouvelle de son décès avant de monter sur scène: «L’effet d’un coup de fusil à pompe», écrira-t-il. Les années du couple en Suisse, assez hautes en couleur, furent heureuses avant l’épisode dramatique qui les clôtura.
Sandro Sursock, figure de la jet-set et de la scène rock genevoise, intime de Keith et d’Anita, a été le témoin de cette époque d’extravagante liberté et de son macabre épilogue.
Anita, une fille forte
Anita Pallenberg était mannequin à l’agence française Catherine Harlé, qui avait alors sous contrat les flamboyantes Nico, Amanda Lear ou Marianne Faithfull. Dans son ouvrage de souvenirs, cette dernière commente: «Anita rapprocha les Stones de la jeunesse dorée et branchée. Elle leur donna une patine décadente et aristocratique. Cela leur permit de passer du statut de pop stars à icônes culturelles.» Pallenberg était également actrice, elle joua dans 17 films, dont le Barbarella de Roger Vadim et le trouble Performance avec Mick Jagger.
Descendante d’artistes peintres italo-allemande, née à Rome, fille très cultivée, styliste, elle donna même son avis lors de l’enregistrement de l’album Beggars Banquet des Rolling Stones dont certains titres furent remixés dans la foulée de son appréciation en demi-teinte. Elle chante au sein des chœurs de Sympathy For The Devil et imposa sa garde-robe extravagante et son style «evil glamour» aux auteurs de Satisfaction: chemises à jabot, chapeaux à larges bords, imprimés indiens, manteaux. La blonde Anita était hypnotique et troublante. Elle approcha les Stones dans les coulisses d’un concert à Munich qui finit en émeute en septembre 1965 et jeta son dévolu sur Brian Jones.
Avec la Pallenberg, il se heurta à plus fort que lui, finit lessivé, un œil au beurre noir, couvert de pansements, deux doigts et une côte cassés. La fille était forte. Elle le quitta lors d’un voyage au Maroc en 1967, pays des joueurs de flûte de Joujouka qu’il affectionnait et sortit avec Keith Richards avec lequel elle rentra en Europe à bord d’une Bentley.
De 1972 à 1976, ils vécurent en Suisse, en plein exil fiscal des Stones après une escale française sur la Côte d’Azur où ils enregistrèrent une partie du double album Exile on Main Street dans les sous-sols moites de la villa Nellcôte. La bâtisse de luxe abrita des orgies de drogue. Ils durent fuir un beau matin devant l’imminence d’une descente de police.
Arrivés à Genève, ils rencontrèrent Sandro Sursock par l’entremise de Stash, le fils du peintre Balthus. Le Genevois avait pour tâche de veiller sur Keith Richards – il tenait à distance la police et la presse – et vivait souvent avec le couple, notamment à Villars. «Le seul endroit où j’avais le droit d’exister, c’était la Suisse, commenta Keith Richards. J’ai même appris à skier. J’ai toujours été un junkie très actif. Jamais je ne serais monté en altitude faire du ski sans un bon shoot.»
Il travaillera même en montagne aux morceaux imbibés de reggae du futur album Black and Blue: Hot Stuff, Cherry Oh Baby et Fool to Cry. A Genève, il se promenait volontiers au marché aux puces, à Plainpalais, sa petite valise en cuir sous le bras. Le nécessaire du parfait hors-la-loi à portée de main: lames de rasoir, couteau, flingue, gris-gris et substances prohibées. Une boîte de nuit de la Vieille-Ville fut baptisée Midnight Rambler en l’honneur des Rolling Stones et de leur titre phare. Ils y allaient parfois. «Anita et Keith déambulaient en Rolls-Royce dans des tenues extravagantes. Personne ne s’en souciait. La liberté régnait», se souvient Sursock.
L’appel au secours
Entre un chalet et une villa à Vésenaz, Keith et Anita vécurent six mois dans un deux-pièces-cuisine à Chêne-Bourg (GE). Richards, revenu d’une tournée triomphale aux Etats-Unis, était alors au sommet de sa gloire, mais restait faible lorsqu’il était sous l’emprise de la drogue. «A cette époque, on n’en mesurait pas encore vraiment les effets ravageurs, souligne Sandro Sursock. C’est un miracle qu’ils ne soient pas morts tous les deux.» L’acide circulait, puis ils passèrent aux drogues de contrôle, héroïne et cocaïne, sans parler du hasch et de l’herbe.
Keith Richards et Anita Pallenberg, parents aimants, n’avaient pas toujours les pieds sur terre. A Genève, les services sociaux, inquiets, venaient parfois leur rendre visite. «J’étais considéré comme responsable. Lorsque je me rendais chez eux, j’emmenais les enfants déjeuner. Leurs parents émergeaient vers 19 heures», se souvient Sandro Sursock. Le soir venu, Keith prenait une guitare et chantait des chansons à Marlon pour l’endormir. «Il était très tendre en famille.»
Un soir, Anita Pallenberg appela au secours. Sandro Sursock se souvient: «Il était 5 heures du matin. Elle s’est mise à hurler. Son petit dernier, Tara, était décédé (ndlr: frappé par la mort subite du nourrisson). Je suis arrivé en trombe, j’ai essayé de lui faire du bouche-à-bouche. Il était trop tard. Anita et les enfants ont été emmenés chez moi à Vésenaz, au bord du lac. Elle était devenue presque folle. J’ai dormi avec les enfants. Mon ex-femme s’est occupée d’elle.»
Le corps de son fils, Keith Richards avoue dans son livre ne «pas savoir où il est enterré». Sandro Sursock en fut le témoin: «Le surlendemain du décès, j’ai participé à un service de crémation à Genève. Il y avait Claude Nobs (ndlr: il avait aidé les Rolling Stones à s’installer en Suisse, à répéter et à enregistrer).» Keith Richards écrira: «Je n’aurais jamais dû laisser Tara avec Anita. Je ne pense pas que ce soit de sa faute, non, mais laisser un nouveau-né, c’est quelque chose que je n’arrive pas à me pardonner. C’est comme si j’avais déserté mon poste. (…) Tu ne peux pas perdre un gosse sans être hanté à jamais. (…) Depuis, il y a en moi un vide et un froid permanents.»
Grand-mère modèle
Anita Pallenberg partit refaire sa vie à New York. Elle y vécut, en pleine mouvance punk, le suicide de son amant. «C’était en 1979. Il s’est supprimé dans leur chambre à coucher. Elle avait arrêté de boire, de prendre de la drogue. Keith lui a prêté sa maison en Jamaïque, elle y soignait son diabète, elle avait pris beaucoup de poids.»
Ses deux grands enfants, Marlon et Angela, ont échappé aux affres de l’héroïne et ont fondé de solides familles. «Anita était devenue une grand-mère modèle, elle cultivait une parcelle de jardin à Londres», ajoute Sursock. Il a revu Keith et Anita pour leur remettre des films super-8, un trésor d’images inédites que lui avait autrefois confié le guitariste. «C’étaient les films de vacances des Rolling Stones. On les voit en cargo partant pour le Brésil, sur le Machu Picchu. Il y a des images de Brian Jones flottant les bras en croix. Keith et Anita, bien que séparés depuis longtemps, étaient émus. Elle m’avait demandé de lui retrouver la seule photo d’elle et du petit Tara qui existait. Sans doute avait-elle l’intuition que sa fin était proche.»