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Brigitte Rosset: "C'est comme si j'étais tombée du 18e étage"

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Noura Gauper
Brigitte Rosset, qui êtes-vous en quatre mots? "Entière, observatrice, rassembleuse, aimante."
Interview intime

A 47 ans, la comédienne et humoriste genevoise, à l’affiche d’un nouveau spectacle en août, se livre sur sa vie et sa carrière, ses succès, ses bonheurs et sa dépression, qu’elle a soignée sur scène.

Qu’est-ce qui fait rire Brigitte Rosset dans la vie?

Les gens, les petites absurdités du quotidien. Certains humoristes me font rire aussi, mais ce ne sont pas eux que j’aime aller voir en premier quand j’ai une soirée de libre. Je ressens au contraire le besoin de me nourrir différemment.

Est-ce le sens de l’observation qui vous a donné envie de faire de l’humour ou le métier qui vous a rendue plus observatrice?

Je ne sais pas. En revanche, il faut en effet aimer observer pour exercer ce métier. Je crois être plus attentive aujourd’hui qu’il y a quelques années. Il m’arrive de prendre des notes quand je repère des gens étranges ou des scènes insolites dans la rue. Mais c’est important aussi de savoir poser un regard critique sur soi-même et ses propres absurdités. L’humour est toujours un savant mélange des deux.

Dans vos spectacles, il y a d’ailleurs 
une grande part d’introspection…

Oui. Parce que, pour faire de l’humour, il faut connaître son sujet. C’est pour ça que je ne me suis jamais attaquée à la politique sur scène. Je n’y comprends rien, je mélange tout et ça ne m’intéresse pas beaucoup. Ce que j’aime, c’est partir de mon histoire et y ajouter des personnages imaginaires. Mais il y a souvent beaucoup de moi dans ces caricatures: la part idiote de Brigitte, sa part sensible, naïve, masculine.

Et quelle est celle que vous préférez?

Ma sensibilité. Même si elle me complique parfois un peu l’existence, parce que je suis à fleur de peau. Je ne supporte par exemple pas certains films ou séries. Cela me traumatise très vite. La liste de Schindler m’a valu des cauchemars pendant des années. Récemment, j’ai essayé de regarder Prison Break, mais je n’y arrive pas. C’est trop intense pour moi. Je ne plaisante pas. J’ai même pleuré devant Ma vie de Courgette, alors que c’est moi qui suis l’une des voix du film et que je connais l’histoire par cœur.

D’où cela vous vient-il? Est-ce une part d’enfant qui sommeille un peu trop profondément en vous?

Peut-être. Un jour, je suis allée consulter une kinésithérapeute qui m’a dit que j’avais vécu plusieurs vies et qu’elles étaient encore présentes au fond de moi (rire). Cela dit, je ne m’en plains pas, parce que cette sensibilité m’aide à entrer en relation avec les autres et nourrit mon métier de comédienne. J’aurais d’ailleurs été incapable de travailler comme secrétaire dans un bureau, de devoir respecter une hiérarchie, un chef potentiellement «reprochant». La scène est un exutoire et autorise l’hypersensibilité, ça tombe bien.

Vous n’avez jamais imaginé faire 
autre chose?

Si, j’ai pensé un moment devenir fleuriste. Mon grand-père paternel était jardinier. J’adorais l’écouter me parler de sa passion. J’ai aussi songé à me lancer comme photographe. Peut-être parce que la photographie partage avec l’humour cette idée de poser un regard différent sur les gens, sur un phénomène de société ou une situation. Le théâtre, au fond, est arrivé un peu par hasard. Mon père gérait des pharmacies, ma mère était juriste. Elle avait fait du théâtre amateur. C’est elle qui m’a emmenée voir mes premiers spectacles. Longtemps, je n’imaginais pas que la scène puisse devenir un métier. J’ai commencé les lettres à l’université, avant que Georges Wod, le directeur du Théâtre de Carouge, m’engage après un cours pour le spectacle Henri IV, de Monique Lachère. On m’offrait tout à coup 4200 francs par mois pour jouer au théâtre, alors que je n’arrivais pas à réunir la moitié de cette somme avec mes petits jobs d’étudiante. Nous sommes partis en tournée en Russie et au Vietnam avec cette pièce. C’était le rêve!

Dans votre avant-dernier spectacle solo, Smarties, Kleenex et Canada Dry, vous racontez votre séjour dans une clinique psychiatrique. Pourquoi avoir choisi de parler aussi ouvertement de ce sujet?

Déjà parce que l’humour n’est pas drôle quand il traite du bonheur. C’est le malheur des autres qui fait rire. On m’a souvent demandé si je n’avais pas eu honte de raconter tout ça. Mais pourquoi? Nous évoluons dans un monde où il est plus facile d’évoquer sa chirurgie esthétique que son état intérieur. C’est bizarre. La dépression, il faut en parler, expliquer qu’on peut parfois ne pas se sentir bien. Notre société nous pousse à aller toujours plus loin, à être toujours plus forts, plus performants. Parfois, ça craque. Ce n’est pas un signe de faiblesse mais plutôt celui d’avoir essayé d’être fort trop longtemps.

Quel a été l’élément déclencheur 
de cette casse?

Une rupture amoureuse très douloureuse. Je me suis fait quitter du jour au lendemain. J’ai perdu pied. C’est comme si j’étais tombée du 18e étage. Je ne gérais plus rien, je n’arrivais plus à me lever le matin ni à m’occuper de mes enfants et de ma propre personne. J’ai été hospitalisée un peu moins de deux semaines, le temps de remonter à la surface. Et puis là-bas, malgré mon gros chagrin, je notais les petites choses insolites auxquelles j’assistais. Il y avait, dans cette immense détresse humaine qui habite ce genre de lieu, une sorte de dramaturgie drôle, presque théâtrale. J’ai raconté cette expérience sur scène. Je crois d’ailleurs que le public a apprécié que je dédramatise le sujet. Parce qu’au fond tout le monde s’est senti concerné un jour ou l’autre par une casse, une rupture, un moment d’errance.

Les chagrins d’amour, c’est plus difficile à surmonter que tout le reste?

En fait, je crois surtout que je n’avais jamais connu de vrai chagrin d’amour avant celui-ci. Même si j’ai réalisé après coup que cet homme n’y était pour rien, au fond. Mon état n’était que le résultat d’une accumulation de petites choses qui n’allaient pas. Cette rupture a été un élément déclencheur. Aujourd’hui, je suis presque reconnaissante d’avoir vécu cette expérience, car elle m’a appris à gérer mes limites. Et puis, un matin on se lève et on réalise qu’on est guéri. Non seulement on a oublié ce garçon, mais on réussit même à entrevoir la possibilité de retomber amoureuse d’un autre.

Vous parlez d’un coup de foudre?

Oui, avec Yann, mon compagnon. Nous nous sommes rencontrés il y a un peu plus de cinq ans, lors d’une soirée de charité donnée par une fondation active dans la recherche contre les maladies rares. J’étais invitée comme ambassadrice. Lui s’occupait de la communication. Quand je lui ai serré la main, je me suis sentie toute bizarre. Je le trouvais tellement beau! J’étais sûre qu’il était marié. Qu’il était impossible qu’on ait pu laisser filer un homme comme lui. Bingo, il était célibataire. Notre histoire s’est imposée comme une sorte d’évidence. C’est la première fois que tout était clair à ce point-là. Le père de mes trois enfants était mon meilleur ami. Notre couple avait aussi été une forme d’évidence, mais d’une manière différente. Et puis on se connaît tellement mieux à 40 ans qu’à 25 ans. Nos histoires précédentes nous ont construits et bonifiés. En fait, il faudrait pouvoir vivre jusqu’à 150 ans, commencer à faire des enfants à 40 et qu’il soit interdit de devenir parents avant. Tout le monde se porterait mieux.

Vous avez dit dans une interview que le rire, dans votre métier, c’était aussi une façon de vous protéger. C’est vrai?

Oui, ça permet en tout cas d’esquiver, dans un premier temps. Ensuite, ça aide à prendre de la distance, à s’éloigner du feu. Et donc à relativiser. Rire, c’est aussi gratifiant. Mais j’aime surtout faire rire. Voir que ce que l’on dit dégage un impact positif sur l’autre, ça booste la confiance en soi, c’est une forme de prise de pouvoir saine et bienfaitrice.

Que vous ont appris Léon, Clémentine et Charlotte, vos trois enfants?

A passer en seconde position. Ils m’ont aussi reconnectée avec l’enfance et avec leurs différentes étapes de vie. Mon fils va fêter ses 20 ans. Je me souviens bien de cette période, de ce qu’on peut ressentir à cet âge-là. Et puis ils m’apportent un regard nouveau sur le monde, plus frais, plus ouvert que le mien certainement.

Vous êtes la cadette d’une fratrie de quatre enfants. Avez-vous dû grandir plus vite?

Je pense, oui. Ma sœur et mon frère aînés ont 10 et 11 ans de plus que moi. J’étais jeune quand ils ont quitté la maison. Je suis très proche de ma deuxième sœur, qui a deux ans de plus. Elle m’emmenait partout et elle a fait le gros du boulot avant moi. Cela m’a simplifié la tâche. Mes parents ont été plus cools avec moi qu’avec mon frère et mes sœurs.

Et vous?

Moi, je suis assez stricte. Très aimante, 
très câline, mais je pose un cadre. Je ne supporte pas les chambres mal rangées, 
les enfants qui mangent mal à table ou qui ne maîtrisent pas le b. a.-ba de la politesse. Ça m’agace.

Vous étiez très proche de vos deux grands-pères. Que vous ont-ils transmis?

Des souvenirs impérissables. Enfant, 
j’étais asthmatique. Mon grand-père paternel, le jardinier, me faisait fumer 
du datura, une plante soi-disant efficace pour soulager ce genre de maux. Sauf que c’était un psychotrope assez puissant. J’avais une vingtaine d’années quand 
il est décédé. Il s’est fait renverser sur un passage piéton. Son départ a été brutal. 
Mon autre grand-père était professeur de médecine. Il m’emmenait voir des concerts et des spectacles au Grand Théâtre de Genève. Tous deux étaient de grands messieurs, chacun dans leur style et à leur 
manière.

Quel est le défaut qu’on vous reproche le plus?

De prendre parfois un peu trop de place. Il m’arrive de m’emballer, de manquer d’écoute, même si à d’autres moments je sais être présente à 200% pour l’autre. Comme je suis consciente de ce défaut, j’essaie de faire attention. Mais parfois je suis un peu envahissante. Cela vient peut-être de cette nécessité d’avoir dû m’imposer en tant que cadette. C’est d’ailleurs certainement pour cette raison aussi que j’ai choisi mon métier.

 

La Locandiera Quasi Comme!, 
avec Brigitte Rosset et Christian Scheidt, mise en scène Robert Sandoz, du 2 au 26 août dans les serres de Widmer hydroculture, à Troinex (GE). 
Rés.: www.locandiera.ch

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