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Fabrice Midal: "J'ai une dette envers la Suisse"

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Manuel Braun
Fabrice Midal, 50 ans, fondateur de l'Ecole occidentale de méditation, est marqué depuis l'enfance par son histoire familiale.
Rencontre

Philosophe, maître de méditation, auteur du best-seller «Foutez-vous la paix!», il nous raconte le parcours de ses grands-parents sauvés à Genève pendant la guerre. Son histoire de famille éclaire son destin.

Il y a chez Fabrice Midal, 50 ans, auteur français d’une vingtaine d’ouvrages dont le best-seller Foutez-vous la paix!, l’agrégé de philo, l’amateur de poésie et de peinture, le conférencier et l’éditeur. Un parcours intellectuel dense et subtil. Or, la grosse caisse médiatique range cet homme aux lunettes rondes et jaunes, son logo, parmi les auteurs à la mode. C’est un faiseur de livres sur le bien-être. Il s’en défend. Fondateur de l’Ecole occidentale de méditation, il n’a rien d’un gourou.

Qui est Midal? Avant sa venue en Suisse, il répond à la lumière d’archives familiales inédites conservées dans un carton. Des documents dans lesquels on suit la trace de ses grands-parents, juifs ashkénazes, venus se réfugier en Suisse pendant la guerre.

Comment vos grands-parents sont-ils arrivés en Suisse en 1943?
J’en ignorais les détails précis jusqu’en 2011, lorsque les autorités Genevoises m’ont ouvert leurs archives. Mes grands-parents, juifs ashkénazes d’origine polonaise, vivaient en France. Ils sont entrés illégalement en Suisse avec l’aide d’un passeur. A l’époque, on acceptait les couples dont les femmes étaient enceintes, ou ceux qui étaient accompagnés d’enfants en bas âge. Il se trouve que chacune de mes futures grands-mères attendait un enfant. En plus, l’une est arrivée avec un jeune garçon et l’autre avec une jeune fille.

Ces couples se connaissaient-ils?
Non. Fait extraordinaire, les Migdalewicz et les Lewin, ces gens au destin singulier, ont vécu la même histoire mais ils ne se connaissaient pas. Une grand-mère accouchera en Suisse de mon futur père et l’autre de ma future mère.

Une fois arrivé sur le territoire suisse, que se passait-il?
Les hommes et les femmes étaient séparés. Les enfants étaient enlevés à leurs parents. On les plaçait dans des familles d’accueil. Ils n’avaient un droit de visite que tous les trois mois. Ces gosses se sentaient abandonnés. Cela a été un traumatisme terrible et un déchirement, parce qu’on les laissait sans explication. Ma tante n’avait que 6 ans.

Ces rapports de douane et de gendarmerie en votre possession ne concernent que le couple Migdalewicz. Pourquoi?
On n’a pas pu retrouver ceux des Lewin. J’ai la copie du rapport d’arrestation de Chonon et Chana Migdalewicz et de leur fille Estelle, daté du 4 septembre 1943, deux jours après leur arrivée clandestine. Au cours de l’interrogatoire subi au poste de police, mon grand-père fournit de nombreux détails sur son passé. Où il a étudié, où il a rencontré ma grand-mère, quand ils sont venus à Paris, quand ils se sont mariés, son métier de tailleur et même son incorporation militaire. C’est le résumé d’une vie dont je ne connaissais que quelques bribes.

Sur le motif de leur arrivée, que dit le document?
(Il lit la déclaration.) «Nous sommes venus en Suisse de crainte d’être déportés par les Allemands. De race juive, nous sommes pourchassés continuellement par les Allemands.» Il ajoute: «Nous avons passé la frontière vers les 23 h 30 dans la région d’Anières. Après notre passage, nous avons été arrêtés par un douanier qui nous a conduits au poste de douane puis au poste de gendarmerie de Jussy et au centre d’accueil des Cropettes.»

En Suisse, selon le rapport de la Commission Bergier, 30 000 juifs ont été refoulés. Une étude récente de Ruth Fivaz-Silbermann parle de 3000. En un mot, quel est votre sentiment?
Je l’ignorais. Moi, en recevant ces documents, j’ai été bouleversé. En Suisse, tout n’a pas été parfait, certes. Mais j’ai une dette vis-à-vis de ce pays. C’est grâce à lui que je suis là et que je vous parle aujourd’hui.

Avez-vous eu la tentation de vous rendre sur les traces de ce passé?
J’ai regardé l’itinéraire sur Internet… (Silence.) Dans un ouvrage intitulé Auschwitz, l’impossible regard, j’explique pourquoi je n’ai jamais été en Pologne et ne me suis jamais rendu à Auschwitz.

Pourquoi?
Je n’ai pas envie d’y retourner…

Vous voulez dire pas envie d’y aller?
(Il rectifie.) Oui, d’y aller! Mon lapsus est révélateur, j’ai l’impression d’y avoir déjà été… Je dois me rendre en Pologne pour la première fois de ma vie le mois prochain et je me questionne: «Est-ce que je visite Varsovie ou pas? Est-ce que je vais au cimetière juif, où une partie de mes ancêtres sont enterrés?» Je ne sais pas. Auschwitz, en tout cas, c’est au-dessus de mes forces.

Vous l’évoquiez avec vos grands-parents?
Ils ne parlaient pas, et ce qu’ils disaient était abstrait. Il faut savoir qu’ils ont survécu alors que leurs propres parents, restés en France, sont tous morts déportés. C’est une des raisons de leur silence. Il valait mieux pour eux se taire que de se plaindre. La valeur des documents administratifs les concernant est plus importante à mes yeux que le fait d’aller à Auschwitz. Je trouve dans ces papiers une parole de vie.

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Fabrice Midal n’a pas retrouvé à Genève le dossier de ses grands-parents maternels, les Lewin. Ici, une photo de sa grand-mère Mamy Fajga. Selon les Archives de l’Etat de Genève, plus de 25 000 réfugiés ont été enregistrés entre l’été 1942 et la fin de l’année 1945. Photo: Manuel Braun

Ce passé familial vous a marqué au point que, dans l’enfance, les peurs de vos ancêtres sont devenues les vôtres. Comment s’exprimaient-elles?
Je faisais un cauchemar récurrent: la Gestapo venait m’arrêter. Je me réveillais terrifié.

Un tourment purement inconscient?
Sans doute. A 4 ans, par exemple, je cachais de la nourriture dans la maison. De temps en temps, mes parents découvraient avec stupeur des fruits pourris dans les tiroirs. Plus concrètement, ma grand-mère m’a raconté comment les Polonais ont tué son frère à coups de hache dans la forêt pour un kilo de sucre. Ces mots m’ont hanté.

Vous vous êtes senti mieux, dites-vous, en écrivant sur Auschwitz. Mais le fait de survivre n’a jamais apaisé vos aïeux.
Ils ont survécu, mais ils étaient brisés. Mon grand-père Lewin s’est souvenu jusqu’à la fin de sa vie, avec effroi, d’un épisode à la frontière suisse: ceux qui ne remplissaient pas comme lui les critères étaient refoulés et ils hurlaient en sachant qu’ils seraient livrés aux Allemands et qu’ils finiraient dans les camps.

Comment le nom de famille Migdalewicz est-il devenu Midal?
Mon père l’a décidé dans les années 60. Il a voulu franciser son nom en essayant de s’appeler Vidal. Le Conseil d’Etat lui a donné Midal. Un jour, j’ai interrogé ma grand-mère à ce sujet afin de savoir ce qu’elle en pensait (ndlr: une courte vidéo en 1995). Elle m’a dit: «Je n’en pense rien, mais papy était très fâché!» Elle ajoute: «Après moi, il n’y aura plus de Migdalewicz.» Mon père a commis une erreur, ça ne m’a pas plu.

Pourquoi?
Il aurait pu choisir Migdal, cela signifie «la tour» en hébreu. Midal ne veut rien dire. C’est, pour moi, l’effacement de quelque chose. Plus jeune, j’ai hésité à faire la démarche dans le but de retrouver mon nom de famille complet. Mais c’est trop compliqué.

En quoi cette histoire familiale vous a-t-elle conduit vers la méditation?
Si j’enseigne la méditation, qui est un geste d’humanité et une manière de se ressourcer avec son humanité, c’est sans doute à cause de tout cela. Il y a une part sombre de mon histoire qui me rend particulièrement sensible à tout ce qui est une attaque à l’identité de l’être humain. Je suis inconsolable, à jamais, de ce qui s’est passé pour ma famille et mes grands-parents. Je pense que cela m’a rendu extrêmement sensible à toutes les souffrances qui peuvent exister.

D’où le thème récurrent, dans vos écrits, de l’affirmation de soi?
Qu’est-ce que mon histoire? C’est: tu n’as pas le droit d’être. Sans raison et indépendamment de ce que tu feras, indépendamment de ce que tu penses, tu n’as pas le droit d’être. Mon cheminement de pensée, lui, consiste à me demander: «Pourquoi a-t-on le droit d’être inconditionnellement?» Pour rien! Vous avez le droit d’être chacun comme vous êtes. C’est tout le sujet de mon ouvrage: Sauvez votre peau! Devenez narcissique.

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A Paris, chez lui, au 36e étage d’une tour du quartier de la Défense, mercredi 7 février, Fabrice Midal médite. «Toujours les yeux ouverts, dit-il. Je ne m’enferme jamais dans une bulle.» Il a découvert cette discipline pendant ses études de philo, il y a trente ans. Photo: Manuel Braun

Narcissique, vous avez appris à le devenir. Comment?
J’étais ce qu’on appelle un enfant hypersensible. Tout était trop. Trop intense, trop extrême, trop difficile. Lorsque mes parents allumaient la télé, mettaient les infos, je pouvais éclater en sanglots. Ils me disaient: «Qu’est-ce qui t’arrive, tu te crois sur une scène de théâtre?» Ce qui m’a sauvé de tout, c’est mon grand-père paternel.

Comment?
Je devais avoir 12 ans. Je n’étais pas bon à l’école, j’aimais dessiner et peindre. Dès qu’il y avait des vacances, mes parents jetaient mes dessins à la poubelle afin de ne pas encombrer la maison. Un jour que j’étais devant ma feuille, grand-père est entré dans la pièce. C’était un homme simple avec un très fort accent polonais. J’ai senti à son regard que j’étais important, que ce que je faisais était important. C’est cela, Narcisse.

C’est-à-dire?
Ce n’est pas le fait de se regarder le nombril, mais de devenir narcissique en acceptant d’être aimé. Cet homme m’a «narcissisé». Je n’étais rien, je me sentais mal, je n’étais pas à la hauteur et il m’a accordé quelque chose. Cela a joué un rôle très important. Il est mort lorsque j’avais 18 ans. Sa présence, son simple regard, le fait d’être avec lui ont toujours été pour moi une source de bonheur très profond.

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