
Trois mois après son élection, le nouveau président de l’UDC suisse reste un inconnu pour les Romands. Mais ce Bernois chaleureux compte bien conquérir des électeurs en terres francophones.
En débarquant chez la famille Rösti, à Uetendorf, juste à côté de Thoune, on a plus le sentiment d’arriver chez des écolos de la vieille école que chez le nouveau président du grand et riche parti conservateur: une fermette sans faste, un vieux chien de race improbable, un poney de plus 30 ans, un modeste verger, un salon-cuisine d’un dépouillement monacal… On est très loin de la villa hollywoodienne de Herrliberg tapissée de tableaux de Hodler, d’Anker ou de Segantini où nous avait accueillis naguère Christoph Blocher, l’inventeur de l’UDC moderne. Un point commun néanmoins entre l’ancien vice-président démissionnaire et le nouveau président: un sens de l’accueil et du contact, une simplicité relationnelle que les leaders des autres formations politiques seraient bien avisés de copier.
L’environnement rustique d’Albert Rösti annonce-t-il pourtant une nouvelle manière, plus douce, plus consensuelle, de piloter l’UDC? «Mon style, nuance le nouveau président, c’est de privilégier le contenu. Il y a vingt ans, l’UDC n’aurait peut-être pas élu un Albert Rösti à sa tête. Mais aujourd’hui nous sommes un grand parti et nous pouvons pratiquer une communication et des méthodes plus sobres.»
Cette sobriété de forme ne concerne pourtant pas les dogmes à la base du succès de l’UDC. La sainte trinité blochérienne sera défendue par Albert Rösti avec la même inflexibilité que celle de ses prédécesseurs, Ueli Maurer et Toni Brunner: indépendance de la Suisse vis-à-vis de l’Union européenne, politique d’immigration stricte et libéralisme. Albert Rösti n’a pas été choisi pour réformer mais pour consolider son parti. Et pour tenter de le faire progresser là où c’est encore possible, la Romandie. «Je vais être en effet plus présent en Romandie que le fut Toni Brunner, qui s’était concentré sur la Suisse centrale. C’est en terres francophones que nous avons la marge de progression électorale la plus nette.»
Cet ingénieur agronome pourra justement compter sur son très bon français, mais aussi sur son affabilité bernoise, qui rompt clairement avec la sécheresse de style, le côté cassant des ténors UDC de Suisse orientale. Et son affection pour les velches ne semble pas feinte quand il évoque avec plaisir ses souvenirs de séances avec ces Romands prenant des libertés intolérables, pour un Alémanique, avec l’ordre du jour, s’interrompant les uns les autres de manière anarchique, mais tombant subitement d’accord de manière quasi magique. Albert Rösti aura quand même fort à faire pour remettre de l’ordre dans la section vaudoise de l’UDC qui, ces derniers temps, s’est piteusement distinguée par des conflits de personnes ubuesques. «Je m’efforce de les aider à trouver des solutions, mais c’est difficile. Nous sommes en revanche fiers d’avoir un conseiller fédéral romand avec Guy Parmelin, qui fait du bon boulot. Ma collaboration avec lui, tout comme d’ailleurs celle avec Ueli Maurer, est excellente.»
«Ni craintifs ni arrogants»
Le patronyme patriotiquement et culinairement pittoresque du nouveau boss de l’UDC ne doit pourtant pas laisser entrevoir quelque assouplissement quant au cheval de bataille le plus émotionnel de sa formation, l’immigration. Albert Rösti est même prêt à dégainer tous les instruments institutionnels pour serrer la vis, quitte à se heurter frontalement à l’Union européenne. «Nous ne devons être ni craintifs ni arrogants à l’égard de l’Union européenne. Mais comment voulez-vous négocier dans l’angoisse permanente d’être puni par les Européens? La Communauté européenne n’a aucun intérêt à être en mauvais termes avec notre pays, qui est son troisième partenaire commercial après les Etats-Unis et la Chine. Et la Suisse, quand elle achète des marchandises et des services aux Européens, elle les paie. Ce n’est pas toujours le cas de tous leurs partenaires.» Le Bernois se sent donc prêt à remettre en cause la liberté de circulation des personnes si la majorité de droite du Parlement persistait à tergiverser. «Une de mes priorités est de surveiller de près la mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse», que nous avions gagnée. Si cela n’avance pas, l’UDC devra envisager la possibilité d’une nouvelle initiative, qui demanderait, cette fois, la résiliation de l’Accord sur la libre circulation des personnes.»
Le Brexit lui semble à cet égard une chance pour la Suisse et non l’inverse. Avec le départ du Royaume-Uni de l’UE, les spécificités suisses devraient, selon lui, pouvoir être mieux acceptées à Bruxelles. «Le Brexit confirme que notre politique d’indépendance est la bonne.»
Assez parlé de politique. On fait le tour du propriétaire avec son épouse Theres, qui travaille à 70% chez Swiss, où elle bichonne les passagers de première classe dans les vols intercontinentaux. «Je vois encore moins mon mari depuis qu’il occupe cette nouvelle fonction. Mais nous fonctionnons comme cela depuis toujours.» Et cette cavalière émérite se réjouit de partir deux semaines et demie en Californie avec leurs deux enfants, André, 20 ans, qui va entreprendre des études d’informatique à l’EPFZ, et Sarina, 15 ans, qui va commencer le gymnase.
Le politicien, inquiet de donner une image de dilettante avec cette escapade californienne, précise que des vacances si longues sont exceptionnelles et qu’il a pris toutes les dispositions nécessaires pour que son parti ne souffre pas de cette absence. On le rassure en lui signalant une contradiction plus gênante à nos yeux: celle entre son mode de vie proche de la nature et sa note écologique proche du zéro sur Smartvote. «Je suis d’une certaine manière plus écologiste que les verts, réplique le politicien. Ceux-ci vivent pour la plupart en ville et imaginent une campagne ressemblant à un parc national. Moi, en tant que fils de paysan de montagne, je sais à quel point il est difficile de conserver une activité permettant d’y faire vivre une famille.»
Quant à son aversion pour les légumes et les fruits, hormis, bien sûr, les pommes de terre, Albert Rösti la relativise avec une pirouette très politicienne: «En fait, j’aime les légumes, mais surtout quand ils ont été transformés en côtes de porc!»