
Son équipe sortie prématurément des play-off, le hockeyeur de Servette, qui vient de fêter ses 37 ans, raconte son parcours entre sa Croatie natale, le Valais de son enfance et Genève, la ville de son club.
Les play-off se sont terminés brutalement pour Servette. Comment vit-on ce genre de déception au sein d’une équipe?
Difficilement. Nous avons passé quelques jours ensemble à Barcelone. Tout le monde est très, très déçu, évidemment. C’est assez difficile de trouver les mots quand on perd 4-0. En revenant à Genève cette saison, j’avais à cœur d’emmener cette équipe le plus loin possible. Personne ne s’attendait à une défaite aussi brutale. Le premier match perdu nous a complètement déstabilisés. Nous n’avons tout simplement pas réussi à nous relancer.
Vous êtes hockeyeur professionnel depuis bientôt vingt ans. Qu’est-ce que le sportif a appris à l’homme avec les années?
C’est difficile à dire, parce que j’ai du mal à dissocier l’un de l’autre. Je fais du hockey depuis que je suis gamin. Avec le temps, l’homme et l’athlète se sont fondus dans une seule et même entité. Je réagis de la même manière sur la glace qu’en dehors. J’ai besoin d’avancer sur les deux plans, je suis un type calme sur une patinoire et en dehors. Je n’aime pas les conflits avec mes coéquipiers comme avec mon entourage.
Vous n’aimez pas les conflits?
Je déteste ça depuis toujours. Les situations qui s’enveniment et explosent après coup, c’est le pire truc qui puisse m’arriver. J’aime la franchise, j’ai besoin que les choses soient dites et réglées tout de suite. Cela dit, j’ai un peu changé avec le temps. J’étais davantage dans la confrontation avant. Aujourd’hui, je suis certainement plus intelligent et réfléchi qu’il y a vingt ans. J’écoute un peu plus mon entourage. Je reste toujours un peu têtu mais je suis plus ouvert qu’avant.
Qu’est-ce qui vous met en colère?
La méchanceté. Les gens qui se mêlent de la vie des autres, qui font du mal intentionnellement. Ça me bouffe.
Vous avez dit un jour de votre coach, Chris McSorley, que vous aviez fini de grandir ensemble. C’est vrai?
Bien sûr! Quand on passe douze ans avec quelqu’un, on évolue forcément ensemble. Parfois dans la même direction, parfois à l’opposé. C’est un peu comme dans un couple. Avec Chris, ces derniers temps, nous avons pris des directions différentes, mais on a continué à évoluer tous les deux.
Que vous a-t-il apporté?
Chris m’a fait confiance pendant douze ans, il m’a mis sur la glace et offert une stabilité que je n’aurais certainement pas connue ailleurs. J’ai pu jouer dans un club francophone, proche de ma famille, de la maison. Dans une carrière de sportif, c’est exceptionnel.
Un coach, c’est quoi? Un mentor, un modèle, une figure paternelle?
Cela dépend du coach. Chris n’a jamais été une figure paternelle, parce qu’il a toujours maintenu une distance professionnelle entre nous. Ce n’est pas quelqu’un auprès de qui j’irais me confier. Il m’a aidé sur la glace, mais sur le plan personnel, c’était très différent. Mais je n’ai jamais recherché ça non plus, en même temps. Je n’aime pas tout mélanger, et j’ai surtout un père dont je suis très proche.
Vous êtes arrivé de votre Croatie natale à l’âge de 9 ans. Quelle première image gardez-vous de la Suisse?
Les montagnes. Je n’avais jamais vu la neige. Avec ma mère et mon petit frère, qui avait 3 mois à l’époque, on est arrivés en voiture par le Grand-Saint-Bernard. Mon père était déjà en Suisse. Il avait été recruté comme joueur de waterpolo par l’équipe de Monthey. Il souhaitait vivre ici quelques mois avant de nous faire venir. Nous avons vécu les premiers jours dans un chalet à Morgins, avant de nous installer dans le Chablais. J’ai grandi à Split, au bord de la mer, ça a été un peu le choc. Tout était neuf et intéressant parce que je découvrais l’opposé de ce que j’avais vécu jusque-là. Je suis arrivé au mois d’août, quelques semaines après je commençais l’école. J’ai dû tout de suite m’intégrer, je n’ai pas eu le temps de réfléchir. En rentrant de mon premier jour de classe, j’ai dit à mes parents: «Je ne savais pas que j’avais autant de copains ici!» Les enfants ont été sympas et accueillants avec moi. La chance, à Monthey, c’est qu’il y avait beaucoup d’étrangers. Mon intégration s’est faite très facilement. Et puis j’étais un petit garçon ouvert, proche des gens, j’ai toujours eu le contact facile. J’ai appris le français en deux mois. Mes parents prévoyaient de rentrer quelques années plus tard, mais la guerre a éclaté. Nous sommes finalement restés. Mon père a travaillé à Ciba, ma mère chez Manor. Mes parents ont toujours voulu s’intégrer.

Vos parents vous racontaient-ils ce qu’il se passait dans les Balkans?
Non. J’avais 11 ans, ils en parlaient peu à la maison. Certainement pour me préserver. Notre famille sur place, à Split, n’était heureusement pas touchée par le conflit. C’est plus tard que j’ai vraiment pris conscience des horreurs de cette guerre. En lisant des livres, en m’intéressant à l’histoire. L’année dernière, quand je jouais à Zagreb, j’ai eu l’occasion de visiter Vukovar. C’était très fort de ressentir à quel point cette ville est encore marquée par l’atrocité des conflits après toutes ces années. Aujourd’hui, j’en parle aussi parfois avec ma compagne. Elle est Bosniaque et a vécu la guerre dans son propre pays.
Vous avez grandi entre Split et Monthey, vous êtes parti trois ans aux Etats-Unis, aujourd’hui vous êtes installé à Genève. Où vous sentez-vous le plus à la maison?
Je ne sais pas très bien. Longtemps, c’était le Valais. Monthey était mon port d’attache, là où je rentrais me ressourcer. Ensuite, en fondant ma famille, je m’en suis un peu distancé. Avec la mère de mes enfants, nous étions installés dans notre maison de Saint-Prex. Il y a deux ans, je suis parti. Nous étions ensemble depuis l’âge de 15 ans et avons vécu vingt belles années tous les deux, avant de prendre des chemins différents. Aujourd’hui, je suis en train de m’installer à Genève avec mon amie. Elle a huit ans de moins que moi et fait des études à l’étranger.
Quels sont vos liens avec la Croatie?
J’ai passé une enfance heureuse là-bas, même si je sais qu’avec les années et la distance on embellit parfois les choses. Je suis toujours resté très attaché à mon pays d’origine. J’ai besoin d’y aller chaque année. Mes liens se sont encore renforcés avec le temps, je ne sais pas très bien pourquoi. C’est bien tombé que je puisse partir à Zagreb la saison dernière. Les choses n’allaient plus très bien avec Chris McSorley, il a souhaité que je parte. Et j’ai eu cette chance à un moment de ma vie où j’en avais le plus besoin. C’était une expérience que j’avais envie de vivre.
Comment avez-vous géré ces retrouvailles avec Servette? Vous n’en avez jamais voulu à Chris McSorley de se séparer de vous après toutes ces années?
Non, je ne lui en ai pas voulu. Je savais qu’un jour ça s’arrêterait et que ça ne se ferait pas forcément dans les meilleures conditions. Je connais le sport, je m’y étais préparé. Je n’ai jamais été rancunier et je reste convaincu que tout ce qui nous arrive dans notre vie ne se produit pas par hasard. Il y a forcément un sens à aller chercher. Et puis, six mois plus tard, j’étais de retour.
Quel rapport avez-vous avec l’argent?
Quand on en a, il est facile de dire qu’on n’en a pas besoin. Cela peut paraître un peu prétentieux d’affirmer que l’argent ne fait pas le bonheur quand on gagne bien sa vie, mais je sais que j’ai besoin de peu de choses pour être heureux. J’ai la chance d’avoir de l’argent aujourd’hui, j’en aurai probablement moins à l’avenir, mais je me sens privilégié de ne pas avoir de souci pour finir le mois, de pouvoir dépenser sans trop me poser de questions.
Vous êtes père de deux enfants. Comment aimeriez-vous qu’ils parlent de vous plus tard?
Comme ils le souhaitent. Ma fille a 11 ans, mon fils 7 ans. On verra bien ce qu’ils diront de leur père dans quelques années, mais j’espère que j’aurai réussi à leur transmettre les outils pour qu’ils s’en sortent bien dans leur vie. J’essaie de leur inculquer des valeurs comme la gentillesse, le respect des autres, la volonté de donner tout ce qu’ils ont en eux pour avancer. Je leur rappelle aussi souvent la chance qu’ils ont d’être nés et de grandir dans ce pays. Beaucoup d’enfants n’ont pas ce privilège.
Et vous, quelle éducation avez-vous reçue?
Mes parents m’ont donné à la fois un cadre strict et beaucoup de libertés. J’ai été un enfant indépendant et autonome très rapidement.
Etiez-vous bon élève?
Oui, j’ai toujours eu beaucoup de facilité. Trop, peut-être. A l’école obligatoire, j’avais l’habitude de passer mes années sans étudier. Quand je suis arrivé au collège de Saint-Maurice (ndlr: les années préparatoires à la maturité fédérale), j’ai réussi mes deux premières années en continuant comme je l’avais toujours fait, mais ça s’est gâté par la suite. D’autant qu’à cette époque j’étais engagé à Villars en première ligue. J’ai un peu lâché l’école. J’ai finalement entrepris un CFC de commerce par la suite. C’est un peu le seul regret que j’ai.
Pourquoi?
Parce que j’aurais voulu aller plus loin dans mes études. Les sportifs ont une image de gens pas toujours très malins. C’est peut-être vrai pour certains, mais de loin pas pour tous. Pour réussir une longue carrière, il faut forcément une intelligence du jeu. C’est dommage que certains sportifs n’arrivent pas à l’exprimer en dehors de leur discipline.
La vie de hockeyeur est une vie de groupe. Entre les trajets, les entraînements et les matchs, vous êtes tout le temps avec votre équipe. La solitude ne vous manque-t-elle jamais?
Pas vraiment. Je ne suis pas un solitaire, je m’ennuie très vite. Les seuls moments où j’aime me retrouver seul, c’est en voiture. Je mets de la musique et je m’évade.
Etes-vous croyant?
Oui, mais à ma manière. Je n’ai pas besoin d’aller à l’église pour prier, mais je pense que la religion fait partie de l’éducation, d’une forme de culture générale qu’on devrait tous connaître. La plupart des messages religieux sont plutôt bienveillants à la base. Je suis plus dubitatif quant à l’interprétation qu’en font certains croyants, en revanche. Je trouve rassurant que le pape actuel essaie de donner à l’Eglise une image un peu plus moderne et modeste. Cela n’a pas toujours été le cas.
Vous avez fêté vos 37 ans ce 21 mars. Pensez-vous à la retraite?
Oui, tout peut aller assez vite à cet âge. Nous sommes en train de discuter de la suite avec Servette, pour que je puisse continuer à œuvrer dans le club. J’ai la chance d’avoir une longue carrière et de bien gagner ma vie. J’ai pu investir dans l’immobilier, je vais essayer d’exploiter un peu ça aussi. Mais je pense que je vais rester dans le hockey d’une façon ou d’une autre, parce que ce sport, c’est ma vie.